DE QUOI SONT FAITS LES HEROS

I


  « Il y a plus de héros dans l’ombre que dans la lumière ». Alain MABANCKOU 

Quelqu’un vient de me parler de l’héroïsme. Ce mot à lui seul porte une énergie qui fait redresser la tête, gonfler la poitrine comme si ce simple vocable allait toucher un déclencheur de beaux sentiments associé à une dynamique portant à l’action. En ce qui me concerne à l’évocation de comportements qu’on peut qualifier d’héroïques, des images surdimensionnées envahissent mon esprit comme signes de l’importance de cette notion.  Cependant le vrai sens de ce processus qui se déclenche dans une situation donnée, sans que l’auteur ait réellement conscience de ce qui l’aura motivé ni de ce qu’il va engendrer, reste pour moi un mystère. 

Je laisse le soin aux psychologues de décortiquer l’anatomie complexe de cette catégorie d’êtres humains disséminés sur tous les continents et faisant fi de l’inconnu et de l’incertitude pour aller au secours d’un des leurs. La question reste cependant posée : l’héroïsme est-il associé à la personnalité d’un individu ou bien se manifeste-t-il à une occasion inattendue qui saisit une personne et en fait une héroïne ou un héros malgré lui ? Toujours est-il que l’acte héroïque suppose un dépassement de soi, un défi aux normes ou aux lois naturelles mais dont la décision reste incompréhensible au regard des risques encourus. 

Chaque étape de la vie sociale s’accompagne de héros. Dès que je sus lire les figures de mes héros s’assimilaient à celles des bandes dessinées ou des dessins animés, Superman, Albator, Fantomette et une kyrielle d’autres qui ont occupé mes heures. Puis plus tard, des personnages plus adultes mais tout aussi fantasques vinrent me tenir compagnie dans ma recherche d’évasion. Par leur simplicité et leur bravoure et surtout leur détermination à œuvrer contre le Mal dans sa représentation la plus primaire, ils mettaient en selle mon imagination d’adolescente déjà bien aiguisée. Entre l’admiration sans borne que je dédiais aux héros et mon identification aux héroïnes de mes lectures, je vivais mon quotidien dans une inspiration débordante et la tête un peu perdue dans les étoiles. Quant à ramener les héros de tous les récits dans mes préoccupations quotidiennes, il ne restait qu’un pas ! 

Néanmoins ce qui caractérisait mes engouements, leurs natures changeaient au gré de l’apparition de nouvelles figures, les derniers se distinguant par d’autres qualités inédites, différentes de celles de leurs prédécesseurs. Dans mon espace-livres cohabitaient des héros très nombreux et leur multiplicité faisait que je ne me limitais à aucune fidélité envers eux. Chacun de ces braves personnages me permettait, pendant un moment plus ou moins long de nourrir mes pensées chimériques ou extravagantes mais aussi de m’évader. Selon les récits je pouvais même les habiter, ces personnages talentueux ! Eux qui vivaient une expérience de vie qui mêlait action et fantaisie dans un univers irréel !

 Et que dire de l’épopée des grands explorateurs Magellan, Cook, Amundsen et tant d’autres à laquelle je participais mentalement et qui donnaient à l’avenir un avant-goût de l’Aventure ? Combien de nuits passées à accompagner le périple de Michel Strogoff ou celui du Capitaine Némo, et cela avec le livre et une lampe-torche sous les draps afin que les parents ne voient pas le rai de lumière sous la porte ? Dieu que mon adolescence fut riche de toutes ces émotions provoquées par les héros de tous gabarits qui peuplaient mes rêves ! Je pense aujourd’hui que très sûrement ils ont participé à l’orientation de ma vie d’adulte, qu’ils l’ont enrichie de cette petite touche d’audace et d’assurance qui pousse à oser ce qui parait insensé. 

Cependant le concept d’héroïsme peut s’avérer complexe. On considère généralement qu’un acte héroïque est une action risquée mais volontaire qui se déclenche dans le but de protéger, de défendre ou de sauver un ou plusieurs êtres vivants d’un péril certain ou imminent. Cela sous-entend que l’intérêt personnel est écarté de la décision au profit de l’abnégation, de l’empathie et même de la résilience. 

Une autre forme d’héroïsme s’affiche souvent dans la défense de causes morales tels les combats pour la liberté des peuples, l’émancipation des femmes dans certains pays. Des combats qui durent souvent des décennies et causent la mort et l’emprisonnement des résistants à la domination. Comme exemples de héros, la littérature de tous les pays fait l’éloge du courage et de la détermination des personnages de tragédie, ceci afin d’orienter et d’éduquer la relève en magnifiant les comportements héroïques. Des modèles transmis sur plusieurs générations et qui façonnent l’esprit des plus jeunes par des valeurs communes à la culture du groupe social auquel on appartient. Les héros sont vraiment les références, et la mémoire collective leur rend hommage pour qu’ils continuent à inspirer des comportements de droiture et de courage.   

 La notion d’héroïsme peut se manifester sous des formes très graves sinon extrêmes dont les plus remarquables se comptent d’abord dans les zones de guerre. De tous temps la figure emblématique du héros s’est toujours confondue avec celle du soldat. Aller se battre loin de sa maison, en sachant qu’on a de grandes chances de ne pas y revenir ou de laisser là-bas une partie de son corps, relève d’un très grand optimisme. D’aucuns parleraient d’Espérance ou d’une Foi inébranlable mais je pense qu’il s’agit surtout de l’acceptation totale des risques encourus et de leurs dramatiques conséquences.

 Malgré la connaissance de ce qu’impliquent les combats, leur violence et la mort à grande échelle, des hommes et aussi des femmes se lèvent, s’engagent et vont défendre leurs valeurs et leurs territoires. Je me dis que c’est sûrement ça le courage ! Aujourd’hui les conflits se déroulent en direct sous nos yeux, sur presque tous les continents, de l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe et le Moyen-Orient les gens se battent. Certains attaquent, d’autres subissent en essayant de résister, nous suivons sur nos écrans la ténacité des pays agressés et martyrisés pendant que les agresseurs érigent aussi leurs combattants en héros.

 Le même vocable est utilisé pour désigner d’un côté les hommes qui défendent leur identité, leurs familles et leurs terres et de l’autre les soldats de régimes prédateurs qui commettent impunément les pires exactions. Bien sûr nous avons en gros plan l’exemple de l’Ukraine parmi tant d’autres, de ces hommes et de ces femmes qui risquent leurs vies tous les jours pour tenter de protéger leur population et l’existence même de leur pays, de son intégrité et de sa souveraineté. Pendant ce temps d’autres n’ont pas choisi cet engagement, sûrement par peur de la mort ou des conditions extrêmes auxquelles sont soumis les combattants sur le front. Nous ne pouvons pas les juger, la peur de mourir fait partie de l’ADN de l’être humain mais faut-il en rester là ?

 Alors qui est héros et qui ne l’est pas ? Le soldat russe qui attaque sans motif existentiel, son voisin ? Le soldat ukrainien qui s’exile sous prétexte de se préserver pour la reconstruction du pays ? Et ces autres qui tiennent été comme hiver, sous les bombes et dans la boue, traqués par les drones ennemis ? Bien d’autres encore anonymes qui subissent des sévices pour avoir osé lutter contre des monstrueuses tyrannies ?

 Et que dire des actes de bravoure accomplis par de simples citoyens qui n’ont pas pensé à leur propre sécurité pour sauver une ou plusieurs victimes du terrorisme. L’actualité nous a montré ce jeune malien qui a protégé les clients d’un Hypermarché et qui déclare « je ne suis pas un héros ». Et ce gendarme mort pour s’être substitué à un otage devant un terroriste armé. Comment concilier l’acte héroïque à notre instinct naturel de conservation ? Que se passe-t-il dans la tête d’un héros ? Bien sûr nous n’avons pas tous la même détermination et le même courage que Vercingétorix mais la force de l’ennemi est-elle suffisante pour réduire un peuple à l’esclavage. Ne serait-ce pas cette volonté d’indépendance et de liberté qui créerait l’héroïsme des défenseurs de leur patrie ?

 Mandela a dit « le courage n’est pas l’absence de peur mais la capacité à la vaincre »,

au nom de la Liberté et de la Souveraineté de son pays on pense que chacun peut essayer de se comporter en héros, mais tel n’est pas toujours le cas. Alors qu’est-ce qui différencie un courageux d’un peureux ? La réponse n’est pas à notre portée et c’est ce qui rend les héros aussi honorés pour ne pas dire vénérés ! Le temps a passé entre l’admiration des vaillants personnages de la littérature de mon adolescence et l’observation de l’humanité dans son fonctionnement. Mais si la valeur des idées que les héros véhiculaient jadis, édifiait un cadre quant à l’élaboration des personnalités qui composaient la société, aujourd’hui un fossé s’est ouvert qui éloigne progressivement les actes des héros du passé pour les remplacer par des comportements violents applaudis et amplifiés par les réseaux sociaux.

 Heureusement les héros d’aujourd’hui, si on excepte les soldats qui luttent sur les champs de bataille, se définissent aussi par ces contingents d’hommes et de femmes qui luttent à leur manière contre les misères d’une société qui se délite. Les bénévoles, acteurs engagés contre la drogue, la pauvreté, la solitude et la désespérance représentent un autre aspect d’héroïsme discret, sorte de résistance contre une société individualiste, souvent inconsciente de la décadence dans laquelle elle s’enfonce.

 Mais pour ne pas perdre espoir, on retiendra seulement que « les héros ne meurent jamais ».